Contribution envoyé par Brigitte Spiegeler, Louise Libaud et Samy Akeb, Heffels Spiegeler advocaten.
Les photographies d’œuvres d’art seraient-elles … des œuvres d’art ?!
Cour de Cassation, Chambre Civile 1, 31 janvier 2018, IEFbe 2488; 16-25291 C’est ce que semblent confirmer les juges français dans une décision de la Cour de Cassation du 31 janvier 2018. La question de la reconnaissance de la photographie en tant qu’œuvre à part entière n’est pourtant pas nouvelle. Le débat opposant les photographes à la communauté artistique date du XIXème siècle. Alors considérée comme une invention servile et technique, la photographie serait une simple reproduction de la réalité. Il faudra attendre 1862 pour voir émerger la reconnaissance de la photographie avec le procès Mayer & Pierson aux États-Unis. Cette querelle pourrait paraitre dépassée, et pourtant, l’explosion de la société numérique nous amène à une certaine réminiscence de la discussion. La photo prise par un paparazzi est-elle une œuvre d’art ? Quant est-il de nos selfies : le selfie d’un singe fait-il de l’animal un artiste?
Les faits en l’espèce sont un peu plus sobres. Un site de vente d’œuvres d’art en ligne a intégré à l’une de ses bases de données des photographies réalisées pour un catalogue de vente aux enchères d’objets d’art et ce, sans l’autorisation de leur auteur. La question s’est donc posée de savoir si ces photographies, reproduisant des œuvres destinées à la vente, étaient suffisamment « originales » pour être dignes d’être protégées par des droits d’auteur. Si l’un arguait de la simple reproduction servile des objets selon un procédé technique et industriel, l’autre clamait l’empreinte de sa personnalité dans chacune des 120 photographies du catalogue.
D’ores et déjà, la jurisprudence avait eu l’occasion de se prononcer sur la question des photographies de tableaux et de sculptures. Si elle se positionnait en faveur de leur protection, suite à une analyse approfondie de leur originalité détachée de celle de l’œuvre qu’elles reproduisait, elle avait cependant refusé de reconnaitre la qualité d’œuvres à des clichés réalisés dans le cadre d’une commande consistant à effectuer une reproduction fidèle pour constituer le fonds documentaire d’une galerie.
Pourtant, c’est avec patience que les juges du fond se sont livrés ici à une analyse appuyée des photographies du catalogue en appréciant de : la disposition des objets photographiés, du travail de la lumière et des ombres, du travail des clichés a posteriori.
Le juge français, sous couvert de recherche d’originalité se constitue, le temps d’un procès, juge de l’art. Mais la Cour de Cassation, pour sa part dans cette décision, refuse strictement d’entrer dans de tels débats de faits et se contente d’adopter l’opinion des juges du fonds (qui n’avaient pourtant pas analysé chacune des 120 photographies de l’espèce !).
Les dés sont donc jetés, une photographie d’œuvre d’art peut donc constituer une œuvre d’art susceptible d’être protégée par le droit d’auteur, commandée ou pas, catalogue ou pas. Le juge, souverain des arts malgré lui, est donc le seul qui aura le plaisir et l’honneur de déterminer au cas par cas les photographies qui gagneront le statut d’œuvre ou non.